Alors que le conflit s’amplifie, l’Alyah en Israël des juifs d’Ukraine n’a jamais été aussi massive. Arié Abitbol, directeur de l’Agence Juive France nous révèle, dans cet entretien exclusif, l’envers du décor. Plan secrets, émissaires russophones, pont aériens, aides logistiques… Décryptage passionnant de ce parcours du combattant menant d’une zone de guerre à la terre promise.
A quel moment précis l’Agence Juive a-t-elle décidé d’intervenir en Ukraine ?
Avant l’invasion, on n’entendait peu parler du conflit Russo Ukrainien dans l’actualité. Mais environ six mois avant le début de l'”opération spéciale”, l’Agence Juive a su que les troupes Russes s’amassaient à la frontière ukrainienne. Et donc, les responsables de l’Agence en charge des pays de l’Est ont commencé à s’interroger face à la menace d’une escalade militaire. Ils ont établi un plan d’urgence d’exfiltration des juifs d’Ukraine qui s’est révélé malheureusement prophétique mais qui a permis d’être prêt plus rapidement. Il est vrai que personne ne s’attendait à cette attaque mais le travail de planification de l’Agence Juive lui a permis d’anticiper.
L’Agence a appelé d’anciens émissaires en leur demandant, en cas de situation d’urgence, de se tenir prêt à intervenir à la frontière voire à l’intérieur de l’Ukraine. Donc quand la crise a commencé, au milieu des mouvements de panique, les émissaires sont arrivés et ont mis en place un système d’assistance aux populations juives ukrainiennes à la fois en dehors des frontières de l’Ukraine mais également à l’intérieur du pays.
Sachant qu’au départ, le premier ministre et l’ensemble du gouvernement israélien refusaient que les membres de l’Agence Juive locale et les diplomates israéliens ne demeurent à l’intérieur du territoire Ukrainien. Ils redoutaient une guerre éclair qui aurait plongé, en quelques jours les service israéliens au cœur du conflit, à Kiev et dans tout l’Ouest du pays. Les autorités israéliennes ont transféré dans un premier temps tous les officiels en Pologne et dans les pays limitrophes de l’Ukraine. Au final, on a constaté dès les premières semaines que les forces russes s’embourbaient peu à peu, ce qui nous a permis de regagner le sol ukrainien et d’amorcer le travail énorme qu’abattent les émissaires de l’Agence. Donc hormis dans les villes de l’Est de l’Ukraine, complètement assiégées ou prises par les russes, il y a aujourd’hui en Ukraine une représentation conséquente de l’Agence Juive destinée à assister les juifs d’Ukraine.
Quelles étaient les grandes lignes du plan établi par l’Agence juive pour intervenir en Ukraine ?
Dans la mesure où se trouvaient en Ukraine cinquante mille Olims potentiels, cinquante mille juifs d’Ukraine prêts à quitter le pays et à faire leur Alyah, le plan devait répondre à plusieurs problématiques :
- comment les faire sortir d’Ukraine,
- puis comment les accueillir, les premiers temps en Pologne et dans les pays limitrophes,
- où les mettre à l’abri le temps de régler toutes les problématiques administratives
- et comment les envoyer enfin en Israël.
Il fallait donc mettre en place toute la logistique. Le plan de départ prévoyait un rapatriement de grande envergure des juifs d’Ukraine : cinquante mille personnes à acheminer vers Israël !
Certes, tous n’ont pas fait leur Alyah mais sur le principe, il y a quand même plus de douze mille Olims juifs d’Ukraine qui ont pour l’instant rejoint Israël. On était un peu éloignés des prévisions mais douze mille personnes, cela représente quand même le tiers de l’Alyah annuelle du monde entier ! Et cette population est arrivée en quasiment un mois et demi. Donc il était nécessaire que l’Agence Juive et les instances israéliennes soient bien organisées.
Comment l’Agence Juive est elle parvenue à faire sortir ces familles juives d’Ukraine ?
La plupart, on ne les a pas fait sortir ; ce sont elles qui ont réussi à atteindre les frontières ukrainiennes et à s’en extirper elles mêmes. Néanmoins, nous avons été confrontés à de grandes problématiques. Par exemple, les maris entre 18 et 60 ans se voient refuser le droit de sortir d’Ukraine étant donné qu’ils restent pour combattre. Donc, en général, ce sont des personnes âgées ou des femmes avec des enfants de moins 18 ans qui sortent, des familles décomposées, avec parfois une partie de la famille qui décide de quitter l’Ukraine, l’autre partie qui décide de rester….
Par conséquent, nous avons dû organiser des hôtels et des hébergements pour accueillir ces familles, s’occuper des enfants, fournir de la nourriture… En parallèle, on allait les chercher à la frontière, on les amenait dans les hôtels de l’Agence Juive et on paraît à tous leurs besoins jusqu’à leur Alyah pour ceux qui choisissaient de la faire.
Ensuite, l’Agence Juive a-t-elle affrété des vols Ukraine Israël ?
Bien sûr ! Nous avons affrété des avions et mis en place une véritable Rakevet Avirit – un pont aérien – Tous ces avions ont décollé ces dernières semaines, les uns après les autres, avec à leur bord des centaines de juifs d’Ukraine.
Cinquante mille, c’était le potentiel total des juifs d’Ukraine candidats à l’Alyah ?
Non, les Zakaim Hok HaChvout, les bénéficiaires de la loi du retour présents en Ukraine sont au nombre de deux cent mille d’après nos services. Cinquante mille, c’était le nombre de juifs Ukrainiens que l’on estimait prêts à effectuer leur Alyah au moment du conflit.
Quelle était la situation réelle des juifs en Ukraine avant l’invasion russe ? Ressentait-on un antisémitisme Ukrainien, tels que certains juifs l’affirment à leur retour d’Ouman ?
De manière générale, la situation des juifs d’Ukraine était bonne. Disons qu’on a eu plus d’inquiétude dans le passé pour les Juifs de Russie, pas forcément pour des questions d’antisémitisme mais plutôt pour tout ce qui touchait à la répression de la démocratie sur place; le fait que les gens n’étaient pas libres de parler, le fait que l’Alyah en Israël était un sujet très tabou dans le régime de Poutine. Les juifs d’Ukraine par contre vivaient dans une situation relativement libérale avant l’invasion russe. Alors bien sûr, il y a toujours un fond d’antisémitisme résilient mais un juif ukrainien intégré ne souffrait pas outre mesure en Ukraine.
L’Ukraine est un pays relativement pauvre, dans lequel le pouvoir d’achat est faible. Ce dénuement relatif faisait partie des critères qui expliquait la belle Alyah des juifs d’Ukraine. Une Alyah liée avant tout à des raisons économiques et a priori sans rapport avec de l’antisémitisme où de possibles mauvais traitement des autorités ukrainiennes. N’oublions pas que l’Ukraine est un pays qui a élu un président juif, Zelensky, qui n’a jamais caché ou renié son judaïsme. Il a été élu avec une écrasante majorité, ce qui signifie que sa judaïté n’a pas été rédhibitoire.
Cette communauté de 200 000 juifs d’Ukraine compte elle beaucoup de juifs pratiquants ?
Oui, tout à fait. La vie juive est active dans bon nombre de régions d’Ukraine. D’autant que la communauté juive ukrainienne se caractérise par un grand mouvement de retour à la religion, du fait notamment de l’influence croissante des Habad – Loubavitch en Ukraine.
Nombreuses sont les grandes villes d’Ukraine qui comptent en leur sein de belles communautés juives : à Dnipropetrovsk, à Kharkiv, à Odessa connue pour son importante communauté, à Kiev naturellement, à Lviv …. Les communautés juifs sont assez dynamiques dans ces régions d’Ukraine.
Est ce que le conflit a impacté la situation des juifs d’Ukraine au delà de celle des civils ukrainien ?
Bien sûr que leur situation a changé ! Néanmoins, les témoignages de nos observateurs sur place, en lien avec les émissaires de l’Agence Juive, rapportent que malgré le bouleversement de leur quotidien, les juifs possèdent un avantage sur les autres populations d’Ukraine : ils bénéficient d’une chaîne de solidarité extraordinaire ! A la fois autour de la synagogue pour les plus pratiquants d’entre eux ou des institutions juives pour ceux qui gardent un lien avec la communauté. Les Habad notamment accomplissent un travail d’organisation de l’entraide exceptionnel !
Ainsi, au lieu de devoir se confronter aux conséquences de la guerre individuellement, c’est une communauté entière qui fait front. Tant en faveur des juifs ukrainiens qui désirent fuir le pays que pour ceux qui aspirent à rester et qui nécessitent une aide alimentaire, financière ou autre…
Donc si les juifs d’Ukraine subissent le conflit avec la même violence que leurs compatriotes , d’un autre côté, ils profitent de ressources, de capacités d’aide et de mécanismes de solidarité différents qui en amortissent l’impact. En effet, au-delà des synagogues et des institutions communautaires, le le Joint, l’Agence Juive… et de nombreux organismes présents essayent de les aider tant bien que mal.
Géographiquement, comment sont répartis les juifs d’Ukraine sur le territoire du pays ? Plus proches du front Russe, à l’Est ou des régions Occidentales de l’Europe ?
En Ukraine, il y a quatre cinq grandes communautés juives : Kiev naturellement, Odessa, Kharkiv où se trouve une grande communauté juive et une grande communauté israélienne car de nombreux israéliens y poursuivent leurs études supérieures, études de médecine notamment, Dnipropetrovsk, Lviv… l’essentiel des juifs d’Ukraine résident dans ces grandes agglomérations. La répartition est à peu près équitable: environ la moitié à l’Est de Ukraine et l’autre moitié dans la partie occidentale.
Parmi les actions concrètes menées par l’Agence Juive pour accompagner les juifs d’Ukraine, est ce que les procédures d’Alyah en Israël ont été accélérées ?
Oui, clairement. Il faut comprendre que l’Alyah de ces pays de l’Est est gérée par un organisme nommé Nativ. Cet organisme est chargé de vérifier l’authenticité des documents présentés par les candidats à l’Ayah en provenance d’Ukraine ainsi que par l’ensemble des candidats en provenance de l’ex URSS.
En effet dans les pays de l’URSS, il y avait un besoin d’authentifier les documents de manière un peu plus rigoureuse pour bon nombre de raisons. Notamment car à la fin du régime soviétique, les registres d’état civil étaient accessibles à toutes sortes d’organismes, et l’on se méfiait de la corruption et de la possible manipulation de ces informations. Donc, en général, les papiers des candidats à l’Alyah des pays de l’Est font l’objet d’une d’une vérification assez minutieuse qui prend, en période de paix six mois voire plus !
Bien sûr, au regard de la situation exceptionnelle, Nativ a travaillé à des rythmes bien plus rapides ; les délais de vérification et d’autorisation d’Alyah sont passés à quelques semaines alors qu’ils se comptaient précédemment en mois. Cela étant dit, la situation n’était pas évidente parce que de nombreux juifs ukrainiens sont partis « une main devant, une main derrière ». Dans le meilleur des cas, ils ont pris leur passeport, dans le pire des cas ils n’ont rien emporté du tout ; ils sont sauvés à 5 heures du matin le jour de l’attaque du 24 Février.
Même si l’Agence Juive, Nativ et tous les organismes ont tout mis en œuvre pour faciliter la tâche des juifs d’Ukraine, certaines situations familiales sont très complexes. Par exemple, lorsque le mari – juif ukrainien – part à la guerre et que la femme désire quitter le pays avec les enfants pour rejoindre Israël, il s’agit d’une Alyah séparée. Pour ce genre d’Alyah en Israël, la réglementation impose normalement de fournir l’autorisation du mari. Car malgré tout, le risque que certaines personnes mal intentionnées profitent de cette guerre pour se sauver avec les enfants existe ! Donc, nos services ont l’obligation de vérifier que cette Alyah est « conforme ». Il faut par exemple prouver que le mari est enrôlé à l’armée, retrouver peut-être une lettre de mobilisation…. Dans certaines situations, la simplification des démarches d’Alyah n’est pas toujours évidente.
Quels relais l’Agence Juive possède-t-elle en Ukraine, outre les émissaires ou les Habad ?
Des travailleurs locaux, pas uniquement des émissaires de l’Agence Juive, qui comme moi sont envoyés en Chlihout, en mission ponctuelle à l’étranger. Des juifs ukrainiens – plus de 90 personnes qui travaillent sur place et qui vivent dans les villes desquelles ils font monter les nouveaux immigrés.
En tant que directeur de l’Agence Juive Française, vous êtes vous rendu sur place ?
Personnellement, je ne me suis pas rendu en Ukraine, d’abord parce qu’il n’y avait pas de besoin spécifique et ensuite parce que je ne maîtrise pas la langue.
Par contre, mon action a été multiple :
– D’une part, collecter les fonds pour parer aux besoins des juifs ukrainiens qu’ils se soient réfugiés en Pologne ou qu’ils aient opté pour l’Alyah en Israël.
– D’autre part, ce à quoi je m’attelle ces dernières semaines, encore tout à l’heure juste avant l’entretien, c’est de coordonner avec les différentes institutions et organismes juifs français l’accueil des juifs d’Ukraine qui ont décidé de s’installer en France. Répondre à leurs besoins : besoin d’écoles, aide financière, aide administrative pour régulariser leur situation …
L’Agence Juive est l’organisme qui les aide à sortir d’Ukraine et les soutient quel que soit leur choix de destination (France, Etats Unis, Israël….) – nous sommes là uniquement pour les aider et certainement pas pour influencer leur décision. Dès qu’une famille choisit de s’installer dans ma région d’action (France, Belgique, Suisse; Italie, Espagne Portugal…), nos services coordonnent son accueil. Au Portugal, nous avons accueilli des familles ukrainiennes. En France également, de nombreuses familles de réfugiés juifs ukrainiens ont été accueillies. Je veux aussi prendre l’exemple de familles francophones d’Ouman qui ont été prises en charge dans le sud de la France, à Nice et dans la région, aidée financièrement par la communauté de Monaco …. On essaie de coordonner tout cela à notre niveau et aider tant logistiquement que financièrement ces familles.
Combien de famille juives Ukrainienne ont été concernées par un départ pour Israël, la France ou d’autres pays européens ?
C’est très compliqué de donner une estimation exacte. Je n’ai d’ailleurs pas tous les chiffres. Je sais qu’en France on parle à peu près de 400 à 500 personnes déclarées. Mais leur nombre doit être bien plus important car il s’agit uniquement des réfugiés connus de nos services ou entrés en contact avec les communautés juives de France et d’Europe occidentale.
En Israël, on parle de plus de 12000 Olims Ukrainiens.
Quelles sont les prochaines actions prévues par l’Agence Juive pour les juifs d’Ukraine ?
C’est naturellement continuer d’aider les juifs qui aspirent à quitter l’Ukraine bien que le flux se soit ralenti ces derniers temps. Vu qu’à l’Ouest, hormis les bombardements, la situation s’est relativement stabilisée (entretien réalisé avant la dernière vague de bombardements russes d’Octobre 2022) et qu’à l’Est de l’Ukraine, certains sont bloqués sur place… Nous ne parvenons à aider que les familles que l’on parvient à évacuer.
Sur le volet des juifs ukrainiens qui sont déjà en Israël, nous prévoyons de continuer à leur distribuer des aides : les aider à payer un logement, à apprendre l’hébreu, à s’organiser dans leur vie de tous les jours de façon à réussir leur Alyah.
Enfin, le plan est de poursuivre nos actions pour les familles juives ukrainiennes installées en France, afin d’adoucir leur une intégration
En Israël, dans quelles structures les juifs d’Ukraine sont ils accueillis ?
Alors, le premier mois, l’Agence Juive et le Misrad HaKlita, le ministère de l’intégration leur finance l’hôtel en Israël. Ensuite, ils doivent normalement quitter l’hôtel pour trouver leur propre logement. Ceux qui n’ont vraiment pas où aller, on essaie de leur trouver des solutions de logement, dans des Merkaz Klita, centres d’intégration de l’Agence Juive en Israël… On les accompagne dans leur intégration en Israël. Les jeunes juifs ukrainiens, nous les envoyons dans des Oulpan d’hébreu, l’oulpan Etsion de Jérusalem par exemple, ou dans des programmes Massa russophones afin d’accélérer leur découverte d’Israël et leur incorporation à la société israélienne… Chaque nouvel immigrant en Israël reçoit une assistance selon son profil.
Ces juifs d’Ukraine fraichement installés en Israël, bénéficient ils d’un statut de réfugié de guerre, d’aides ou de statut particulier, par rapport à des Olim « classiques » ?
Tout à fait. La décision d’octroi d’aides supplémentaires est en train d’être votée. Cela prend du temps mais des aides supplémentaire doivent être débloquées.
Quelles villes d’Israël ces frères d’Ukraine ont ils majoritairement choisi comme lieu de résidence ?
Ils se sont répartis sur l’ensemble du territoire israélien. Un peu plus peut être dans les villes aux imposantes communautés russophones, comme Ashdod, Bat Yam, Jérusalem, Ariel…. Surtout là où se trouve l’Alyah russophone pour des raisons de proximité familiale ou de facilité linguistique.
Y a-t-il des frictions entre ces juifs Ukrainiens fraîchement débarqués et les juifs d’origine Russe déjà installés en Israël ?
Absolument pas ! La télévision israélienne a d’ailleurs réalisé un intéressant reportage sur un groupe Taglit Russophone arrivé en Israël quelques jours avant le début des hostilités composé pour moité de juifs d’Ukraine et pour autre moitié de juifs russes. Ces deux groupes ont raconté ce qu’ils pensent du conflit : une folie organisée par un dirigeant qui ne correspond pas à ce que les deux peuples ressentent l’un envers l’autre.
En Israël, j’observe une solidarité entre juifs russes et ukrainiens. Plus que ça ; les émissaires de l’Agence Juive qui se sont rendus en Ukraine, je leur demandais parfois par curiosité quelle était leur nationalité d’origine ; la plupart étaient russes ! Ils allaient s’engager sur le front ukrainien et prendre des risques à la frontière pour des juifs ukrainiens
Je pense que leur identification avec et avec le judaïsme est beaucoup plus forte que toute identification Poutine ou ses politiques
La Synagogue de Kiev est un cadeau du Président Poutine. L’Alyah des juifs d’Ukraine est un vieux projet de même que la vraie situation des juifs en Ukraine.. Votre reportage est certes très politiquement correct et je constate seulement que nous n’avons pas les mêmes infos sur ce sujet.